mercredi 22 octobre 2014

Un incunable messin aux enchères


Les livres ou opuscules imprimés au 15e siècle (ou incunables) à Metz sont peu nombreux : on en recense 12 (3 imprimés en 1482 et 9 imprimés en 1499 et 1500). Aussi, l’apparition sur le marché d’un exemplaire d’un tel livre est quelque chose de notable. En l’occurrence, c'est un exemplaire d'un livre messin particulièrement remarquable, imprimé en 1500, qui sera mis aux enchères le 24 octobre prochain (vente Moirandat (Suisse) lot n°30) :

Ein gar ſchone neɿve hystoɿi der hochen lieb des ǁ koniglichen furſten Floɿio: vnd von ſeiner lieben ǁ Bianceffoɿa: Euch groſſe freɿud davon bekom=ǁen ſoll. Auch do bey vernemen ɿuert : ɿevi gros ge=ǁfallen die lieb hat. Mit ſchonen figuren

Ce qui signifie : "Une nouvelle très belle histoire du grand amour du prince Florio et de sa bien-aimée Blanchefleur : laquelle vous procurera une grande joie. Et vous apprendra d'abord comment cet amour a déchu. Avec de jolies figures".

Il s'agit d'une traduction en allemand du roman en prose de Boccace "Il Filocolo" (l'amoureux de l'Amour) écrit vers 1335 qui met en scène les personnages de Floire et Blancheflore, inspirés par l'un des contes des Mille et une nuit, très présents dans la littérature romantique populaire nord-européenne du 12e au 14e siècle.

Page de titre

Le livre, in-folio imprimé en gothique, compte 130 feuillets (4 non chiffrés, 125 numérotés de i à cxxv et le dernier blanc). Il est remarquable par les 96 gravures sur bois à mi-page qu'il contient, gravures qui sont aquarellées dans certains exemplaires. L'auteur de ces gravures n'est pas connu. Au verso de la page cxxv, on trouve le colophon :

« Gedɿuckt zu Metʓs in der Freyen loblichen ǁ ſtatt / Durch Caſpar Hochffeder / Am ǁ andern Tag des Avgsts. Do man ʓellt ǁ nach Criſti vnßers lieben herren geburt. Tauſent vnnd ǁ funff hundert Jar. »

Traduction : "Imprimé dans la glorieuse cité libre de Metz par Caspar Hochfeder, le second jour d'août de l'an mille cinq cents après la naissance du Christ notre seigneur".

L'exemplaire proposé à la vente est incomplet (comme souvent) de 24 feuillets et 14 gravures. Les gravures ne sont pas coloriées. Il est estimé 28.000 francs suisse (23.000 euros !!!).

On peut trouver en ligne un exemplaire à feuilleter sur le site de la Bibliothèque de Münich :

mardi 6 mai 2014

Les premiers livres lorrains

On a vu que c'est à Metz en 1482, et non en Lorraine ou en Barrois, que fut imprimé le premier livre lorrain (on peut dire plutôt opuscule puisqu'il s'agissait de 24 feuillets). Deux autres opuscules sont réputés être sortis des presses de nos deux imprimeurs ambulants la même année, puis plus rien jusqu'en 1499. Ils semblent avoir quitté Metz pour d'autres contrées voire ont cessé leur activité ; on perd leur trace.

Quid de la Lorraine ?
Longeville-devant-Bar : 1502
St Nicolas-de-Port : 1503 puis 1628-1629
Toul : 1505
St Dié : 1507
Verdun : 1560
Nancy : 1572 (!)
Pont-à-Mousson : 1582

Au 17e siècle et plus tard :
Epinal : 1616
Mirecourt : 1616 puis
Saint-Mihiel : 1613
Vic-sur-Seille : siège de l'évêché de Metz
Clairlieu-lès-Nancy : 1606 à 1611
Remiremont :
Commercy : 1740 à 1744
Bar-le-Duc : 1643 puis
Senones : 1759 à 1762
Neufchâteau : 1719
Bruyères : 1763
Dieuze : 1761
Etival : 1725-1730

lundi 5 mai 2014

Les livres messins et lorrains


J’inaugure ici une rubrique qui me tient à cœur, celle de l’histoire de Metz et de la Lorraine à travers le livre et du livre lorrain en général. Elle est sans prétention. « Un amour vrai, le goût de la curiosité, l’instinct de la chasse, un peu vanité. Et voilà comment la bibliophilie s’est implantée en nous » disait l’écrivain Jacques de Lacretelle, arrière-petit-fils du célèbre historien et académicien messin Charles de Lacretelle. Il y a un peu de tout cela.
L’apparition de l’imprimerie au milieu du 15e siècle a joué un rôle essentiel dans la diffusion des idées, des sciences et des arts à la Renaissance. Dans ce mouvement, la Lorraine et les Trois-Evêchés ont pris toute leur part. L’exposition « Une bibliothèque lorraine de la Renaissance » présentée par les BM de Metz en 2000 en témoigne par une sélection raisonnée de cent ouvrages emblématiques de la période et des préoccupations des lettrés du moment : littérature, musique, vie religieuse, gouvernement, astronomie, géographie, alchimie, géométrie, etc.

En France, c’est à Paris que trois ouvriers allemands venus de Mayence installent le premier atelier typographique en 1470. Mais c’est à Metz, cité commerçante, riche et peuplée, et non dans les duchés de Lorraine et de Bar, que le premier livre lorrain fut imprimé.
Venus de Trèves (car les imprimeurs étaient alors ambulants, transportant leur presse sur une charrette tirée par des chevaux), Jean Colini, un moine, et Gérard de Villeneuve, impriment à Metz en 1482 un petit livret de 24 feuillets, une partie (le livre premier sur quatre) d’un ouvrage religieux anonyme à succès qui passe pour avoir été écrit une trentaine d’années plus tôt par un moine allemand, l’Imitation de Jésus-Christ. C'est le premier livre messin avec une date certaine, l'indication du lieu et l'année d'impression et le nom des deux imprimeurs figurant en fin de texte (ce qu'on appelle le colophon). La typographie est gothique et la langue est bien sûr le latin. Sans rentrer dans des détails inutiles, voici une très courte description de l'opuscule :
- la première page est blanche (recto du premier feuillet)
- la seconde comporte la liste des 24 chapitres (verso)
- le titre n'arrive qu'à la troisième page (recto du second feuillet) :
Incipiūt ammonicōnes ad ſpiǁritualē vitā vtiles  Ca· primū ǁ De imitacōe ri‡ et ctēptu oīm ǁ vanitatū mundi·:·.
ce qui veut dire à peu près « ici commencent les avertissements utiles pour la vie spirituelle. Chapitre premier. De l'imitation du Christ et du mépris de la vanité de ce monde »
- sur la dernière page (recto du 24e feuillet), on trouve la mention suivante :
Expliciūt āmonicōnes ad ſpi=ǁritualem vitam vtiles. ǁ Impreſſe in cītate Metenſi ǁ per fratrem Iohannē Colini. Orǁdinis fratrum Carmelitarum. ǁ Et gerhardum de noua cītate. ǁ Anno domini Mille°. CCCC° ǁ lxxxii.
ce qui veut dire « ici finissent les avertissements utiles pour la vie spirituelle. Imprimé dans la cité messine par frère Jean Colini frère de l'ordre des Carmélites et Gérard de Ville-Neuve. L'an mille quatre cent quatre-vingt-deux. »
Vous vous en doutez, ce modeste livre - on dit un incunable car imprimé au 15e siècle - ne figure pas dans ma bibliothèque ;-) et :-( (typographie typiquement du 21e siècle). Celui des BM de Metz a (aurait) été détruit en 1944 lors de l'incendie de la casemate du St Quentin dont tout le monde a déjà entendu parlé. J'ai consulté celui de la Bibliothèque nationale de France (BnF).